Le Dr Jean-Louis Mencière

Reims le 19 décembre 1944.

En 1940, l’HOE de Beauvais où j’étais chef de groupe chirurgicale a fini comme poste de secours. J’ai été évacué sur Lisieux alors qu’on se battait dans Rouen. Puis au fur et à mesure de la retraite j’ai été dirigé sur Rennes, où je suis arrivé pour le fameux bombardement de la gare : des avions allemands avait fait sauter quatre ou cinq train de munitions parmi lesquels se trouvait de nombreux trains de voyageurs occupés par des rescapés de Dunkerque, par des civils, et il y avait aussi deux trains d’enfants. J’ai été chargé d’opérer ces derniers avec mon groupe chirurgical. Les hôpitaux de Rennes étaient pleins à craquer de blessés inopérés et c’est dans ces conditions que j’ai été fait prisonnier. Nous avons alors traité ces blessés, puis nous avons été libéré plus tard comme sanitaire.
C’est alors que c’est posé pour moi l’éventualité de ma réinstallation à Reims. À ce propos je dois vous dire que pendant que j’étais prisonnier, un médecin colonel allemand ayant vu la liste des chirurgiens prisonniers, demanda à me parler et me teint le langage suivant : « je viens de Reims, j’y ai vu votre établissement que je connaissais déjà de nom. Voulez-vous revenir, cela nous intéresserait étant donné votre spécialisation » j’ai évidemment décliné l’offre.

Il était donc un fait certain, mon retour à Reims impliquait fatalement dans un avenir plus ou moins proche de travailler pour le soldat allemand. C’est ce que je n’ai pas voulu. C’est la véritable raison pour laquelle je me suis pas rentré et je tiens à ce qu’on le sache.

D’autre part ma clientèle de spécialité était fatalement aussi en grande partie extra régional et du fait des ligne de démarcation (zone interdite et zone libre) ne serait venu à moi que très difficilement.

Je suis revenu ici avec un mois de retard, cela à cause de la difficulté des communications et aussi surtout parce que résidant dans une région où il y avait eu des faits graves entre miliciens et maquis, je m’étais mis à la disposition des FFI.

On m’avait dit qu’il y avait à la clinique des détenus administratifs. Mais je croyais trouver, comme je l’ai vu partout en France, un local barricadé de barbelés, bref une adaptation très provisoire. J’avoue que j’ai été quelque peu surpris, alors que je comptais retrouver ma Clinique l’ennemi étant parti, de voir des barreaux ou de fer aux fenêtres ainsi qu’une importante transformation intérieure. Et j’ai appris que les choses risquait de s’éterniser : les jugements des détenus administratifs traînent un peu trop en longueur et même il était question d’amener les détenus de droit commun.

J’ai donc écrit à Monsieur le préfet pour lui demander l’arrêt des travaux et pour que l’administration envisage ailleurs l’internement des détenus politiques. Il a bien voulu me donner très partiellement satisfaction dans ma lettre du 1er décembre 1944. Mais dès le lendemain de la transmission de cette lettre (5 décembre 1944) je recevais une lettre de Monsieur le sous-préfet daté du 6 décembre 1944, m’avisant que les services de la justice demandait la continuation des travaux.

Je connais les raisons de cette contradiction. Je sais qu’il existe au ministère un rapport concluant à la possibilité d’installation d’une prison dans ma clinique. Le rapport accepté continue donc à jouer ; les ordres sont donnés à Melun et de là directement à la sous-préfecture de Reims. Or ma clinique n’a jamais eu une dispositions spéciale pour servir de base à l’élaboration d’une prison, ne serait-ce que la multiplicité et la grandeur des ouvertures et j’ose espérer que l’auteur de ce rapport n’y a vu certainement qu’un caractère très provisoire. Envisagé autrement ce rapport serait invraisemblable.

J’ai donc écrit à Monsieur le commissaire de la République pour lui faire les demandes suivantes :

1/ l’annulation de ce rapport déposée au ministère.

2/ l’arrêt des travaux, puisque Monsieur le préfet a bien voulu m’assurer que l’administration tente tous ces efforts à remettre ma Clinique à sa destination première.

À ce propos je demande que l’on ne pose pas les barreaudages au du rez-de-chaussée qui entraînerait des dégâts irréparables, d’autant plus que les détenus sont aux étages et que l’enceinte prévue en barbelé semble suffisante pour une installation provisoire.

3/ je demande que l’on envisage dès maintenant l’installation des détenus administratifs dans un autre local, non pas seulement par des projets, mais par une réalisation effective.

4/ Je demande qu’à fortiori il ne soit pas question d’interner dans la clinique les détenus de droit commun en attendant la reconstruction de la prison Robespierre.

5/ je demande enfin que l’établissement me soit rendu le plus rapidement possible pour permettre la réinstallation de ma clinique de Chirurgie Osseuse et Orthopédique.

Voici donc mes chers confrères le rapport que j’ai à vous adresser. Je compte sur votre esprit d’équité et sur votre appui.

Le président du comité médical de la libération m’a tenu au courant et il m’a dit que le comité me soutenait à l’unanimité et appuyer fortement mes demandes auprès du commissaire de la république et qu’il a ajouté qu’il y avait lieu de me rendre le plus rapidement possible dans l’établissement en vue de ma réinstallation, cela d’autant plus que ma clientèle était très étendue et avait un caractère non seulement régional mais aussi extra régional.

La lettre d’appui à l’unanimité a été adressée au commissaire de la république quelques jours après mon rapport.