La Chirurgie orthopédique en tant que Spécialité

III. La Chirurgie orthopédique en tant que Spécialité.

Le mouvement orthopédique moderne et l’orthopédie telle qu’on la conçoit aujourd’hui sont partis de l’étranger, après avoir pris naissance en France, avec Delpech (de Montpellier), Bouvier, Duval, et surtout Jules Guérin. C’est ainsi que sont devenus célèbres les noms surtout Hoffa, de Wolf, de Lorenz, de Vulpius, dans les pays de langue allemande ; de Paci, de Panzeri, en Italie ; de Phelps, etc., en Amérique. Mais peu de ces chirurgiens ont, même jusqu’à ces dernières années, compris, avec le même sens aigu de l’actualité qu’Hoffa à Wurzbourg et Codivilla à Bologne, la nécessité de posséder une installation, complète et grandiose, permettant de réunir dans la même main tous les éléments qui assurent le succès thérapeutique en matière d’intervention orthopédique. Et il faut savoir gré au Dr L. Mencière, luttant contre les théories antiques de Paris, d’avoir implanté de façon définitive ces saines idées (7) dans notre pays, et de les avoir mises en pratique, de la façon la plus brillante et la plus rationnelle, dans l’une des plus riches contrées de France, la Champagne, c’est- à-dire dans le milieu le plus favorable, sociologiquement parlant au triomphe de cette manière de voir.
En effet, en chirurgie orthopédique, il ne suffit pas d’opérer et d’intervenir brillamment, de façon à étonner l’assistance la plus compétente par sa rapidité d’exécution et le brio avec lequel on manie le bistouri. Ici, il faut savoir qu’en étant à dessein plus modeste et moins bruyant, tout en restant aussi audacieux dans les tentatives opératoires qu’on propose, on fait de la meilleure besogne, car il est aussi délicat de mener à bien une greffe tendineuse, qui réussit à souhait, qu’une hystérectomie, qui guérit seule. De plus, le principal secret du chirurgien, qui traite les difformités et surtout les affections musculaires (paralysies, etc.), réside, en réalité, dans l’établissement d’un diagnostic très poussé et très précis de toutes les lésions présentées par le malade. Or cela est bien plus compliqué que de connaître la variété anatomique d’un fibrome utérin ! En l’espèce, on ne peut agir au petit bonheur ; et l’on ne peut se lancer dans une opération, malgré sa bénignité, que quand on a dressé à l’avance un plan d’attaque très minutieusement étudié ; sinon on ne réussirait pas. Or, pour cela, on a besoin de recourir à une série de méthodes qui exigent des installations dispendieuses ; et, de plus, il faut du temps, beaucoup de temps, de très longues matinées : ce dont on ne dispose guère à Paris !
Enfin, une fois l’opération exécutée et réussie, on n’a presque rien fait. Il faut rééduquer les muscles nouveaux qu’on a créés, apprendre aux patients à se servir de l’organe qu’on a restauré avec un soin jaloux, ou du membre atteint qui se trouve placé dans des conditions toutes nouvelles, etc., etc. Pour obtenir ces résultats, on doit avoir à sa disposition de nombreux appareils et même des maisons de santé, agencées d’une façon particulière, pourvues d’un personnel nombreux et spécialisé. Il faut, en outre, pour le chirurgien, du temps, de l’espace, de la patience, un don réel de minutieuse observation, maintenu constamment en éveil par une pratique importante, et aiguisée chaque jour par les difficultés inhérentes à toute profession exercée d’une manière intensive.
Tout cela explique pourquoi une Clinique de Chirurgie orthopédique doit avoir les dimensions de celle de Reims ; pourquoi, jusqu’à présent, celle-ci est unique dans notre pays, où les entreprises d’initiative privée de cette envergure sont très rares dans les carrières dites libérales ; pourquoi l’exemple du Dr L. Mencière ne sera pas suivi d’ici longtemps encore, car, si la maison doit être vaste pour être excellente, il faut savoir, pour en assurer les services, lui procurer une clientèle suffisante, grâce aux résultats obtenus et grâce à la notoriété du chirurgien : ce qui est bien plus difficile qu’on ne le soupçonne ! Notre collaborateur et ami, dont l’esprit novateur est bien connu désormais et déjà apprécié même à l’étranger, qui a imaginé tant d’appareils ingénieux, et qui conçu divers manuels opératoires fort dignes d’intérêt, possède donc là un véritable Hôpital de Ville, réservé à la spécialité qu’il a choisie. Persuadé que l’opération n’est en réalité qu’un épisode de cure – et non le seul traitement qu’a à appliquer le chirurgien , – il s’efforce de diriger par lui-même tous les services de cette clinique et de présider aux phases multiples de la thérapeutique, depuis l’intervention sanglante jusqu’aux exercices les plus simples de gymnastique, de massage, de mécanothérapie et d’électrothérapie, y ajoutant encore, suivant les besoins, la direction de la confection d’appareils de prothèse, soit transitoires, soit définitifs. Il ne faut pas s’étonner, par suite, si, en y consacrant tout son temps, toute sa patiente énergie, toute sa tenace volonté, il y enregistre des succès que véritablement l’on n’obtient pas ailleurs, en particulier dans les hôpitaux parisiens.

Il est, certes, inutile de rappeler ici qu’en visitant cette Clinique, nous y avons trouvé en traitement des échappés des salles d’opérations de la capitale et d’autres villes de France, parce que le résultat était incomplet ou même mauvais, au point de vue orthopédique, et qu’il fallait tenter encore quelque chose. Mais nous devons cette satisfaction à notre conscience d’ajouter que, si vraiment des traitements méthodiques, organisés de la sorte, n’aboutissent pas à une restauration presque parfaite des organes, c’est qu’il est véritablement des choses encore impossibles à obtenir dans l’état actuel de nos connaissances chirurgicales.