Article de la Gazette médicale du 11 juillet 1903
LES CLINIQUES CHIRURGICALES.
La Clinique de Chirurgie orthopédique de M. le Docteur Louis Mencière (de Reims)
PAR Marcel BAUDOUIN.
C’était en 1886 nous voyagions à pied dans le pays de Bade. Nous fimes, à cette époque, à Baden-Baden, la station allemande bien connue, un séjour assez prolongé. Profitant de notre passage pour visiter les principales installations bydrologiques de cette ville, nous eûmes l’occasion d’entrer, un peu au hasard, dans un magnifique établissement, qui existe encore probablement aujourd’hui, et ou se trouvaient assemblés toute une série d’appareils qui nous intrigua fort.
C’était, en effet, la première fois que nous avions l’occasion de voir en plein fonctionnement une organisation complète de ce qu’on appelait autrefois les Instituts de Gymnastique suédoise, et qui maintenant porte le nom, plus exact et plus scientifique, d’Instituts de Mécanothérapie ! Ce qui nous frappa surtout à ce moment-là, ce fut le luxe véritablement inouie et inconnu en France de cette installation, la manière dont toutes les machines étaient disposées et marchaient comme au commandement. Nous fûmes aussi très étonné de voir les maladies traitées et les résultats obtenus.
En somme, ce fut pour nous, journaliste pourtant déjà blasé, une véritable révélation (1) ; et nous nous promîmes, à notre retour en France, de consigner ces quelques réflexions, à propos de notre voyage en Bavière, dans la revue où nous écrivions alors !
Mais l’homme dispose et les jours passent ; l’article, croyons-nous, resta dans l’encrier, ou tout au moins ne fut pas publié. C’est fort regrettable – ont déjà dit quelques-uns de nos amis – pour l’histoire de la mécanothérapie et de la thérapeutique des accidents en France,car, dès cette époque, comme nous le rappellions récemment dans un milieu très compétent en ces matières, nous avions compris tout l’avenir de cette méthode pour les blessés du travail ; et, si cette relation avait paru, peut-être le mouvement actuel aurait-il été avancé de quelques années dans notre pays.
C’est évidemment parler avec peu de modestie que d’avancer chose pareille. Mais personne ne s’en étonnera, pensons-nous, étant donné les recherches auxquelles nous nous livrons depuis dix ans sur l’organisation des prompts secours dans nos grandes villes, sur l’absence de tout traitement de ce genre chez les traumatisés des hôpitaux (2), et sur la nécessité de la création d’établissements spéciaux, destinés à soigner de façon rationnelle et rapide les blessés de l’industrie, qui non seulement ont besoin d’être guéris chirurgicalement, mais de retrouver complètement et vite l’usage de leurs membres, leur gagne-pain, ou le charme de leurs formes plastiques, quand il s’agit du sexe féminin…
Toutes ces questions, devant l’essor de la chirurgie aseptique et des grandes interventions viscérales modernes, ont un peu sommeillé en France jusqu’à ces temps derniers. Et il a fallu la promulgation dans notre pays, d’une loi sur les accidents du travail, loi appelée de tous nos veux et établie sur le modèle de ce qui existait déjà en Allemagne et en Italie, pour ramener, sur ces questions et la mécanothérapie l’attention des médecins instruits et des chirurgiens français.
D’autre part, certains jeunes chirurgiens, trouvant que, après 1890, on avait assez fait en faveur de la grande gynécologie, se sont décidés, tout en s’adonnant à ces études patientes, longues, un peu minutieuses, mais d’une incontestable utilité, des suites des accidents, à revenir à l’ancienne chirurgie de l’appareil locomoteur, trop délaissée chez nous depuis J. Guérin et Bouvier, sauf dans un centre provincial bien connu.
Protestant contre la généralisation de l’idée de spécialisation, appelée la « Chirurgie des Enfants », qui n’a de raison d’être qu’à Paris, par suite de l’existence des hôpitaux d’enfants, mais qui, en réalité, ne sera que temporaire et n’a pas de sens, scientifiquement parlant [puisqu’il n’y pas de raison pour ne pas continuer à soigner en ville un malade sous le fallacieux prétexte qu’il a passé l’âge réglementaire de l’admission dans ces hôpitaux spéciaux (3), ces jeunes, aux idées larges et saines, ont vite compris que la véritable spécialité était bien, comme l’a dit depuis longtemps l’École allemande, la Chirurgie de l’appareil locomoteur (os, muscles, articulations, tendons, etc.).
Et, résolument, ils se sont lancés dans celte voie, laissant leurs camarades plus anciens s’occuper plus spécialement de laparotomies ou d’interventions viscérales !
Il en est résulté que, pour ces chirurgiens orthopédistes ( à l’heure actuelle, il n’y a pas d’autre mot à employer, quoique le terme d’Orthopédie ne corresponde nullement au fait vrai ), il a fallu imaginer et réaliser des installations chirurgicales et des maisons de santé, aménagées d’une façon toute différente de celles qui ont été créées depuis dix ans pour la grande chirurgie sur le sol français ( Angers, Le Mans, Nantes, Le Havre, Marseille, Boulogne-sur-Mer, Clermont-Ferrand, etc., etc. ). C’était là un progrès réel.
A l’heure actuelle ces cliniques sont encore très rares, pour ne pas dire en nombre unique, car peu de nos camarades ont compris jusqu’à présent, chose curieuse, qu’en somme les bossus et les botteux sont bien plus fréquents que les gros ventres, dans tous les départements de France! En tout cas, il y en a très peu d’installées de façon scientifique et pourvues de tout le matériel nécessaire désormais à l’exercice de cette variété très intéressante de médecine opératoire.
Or, récemment, nous avons eu l’occasion visiter l’une d’elles, à Reims, et la façon dont son fondateur, M. le D L. Mencière, notre collaborateur, a compris son organisation nous a beaucoup intéressé. On nous pardonnera d’en donner ici a nos lecteurs un court aperçu (Fig. 103).

Ce qui constitue la caractéristique de CLINIQUE DE CHIRURGIE ORTHOPÉDIQUE DE REIMS, c’est d’abord qu’on n’y exécute absolument que des opérations sur l’appareil locomoteur, et que, d’autre part, son directeur se défend de toutes ses forces d’être un spécialiste des maladies de l’enfance et du massage. Il ne veut pas être surtout un simple médecin, s’occupant de mécanothérapie ou d’électricité – Il a raison, car il est, avant tout, il nous l’a prouvé récemment encore (4) – un chirurgien, un opérateur. La mécanothérapie, le massage, l’électricité, ne sont pour lui que des adjuvants du bistouri. Aussi trouvons-nous, dans cette clinique, quatre parties importantes et bien distinctes :
1• Une salle des opérations sanglantes et aseptiques (Fig. 107).

2• Une salle des opérations non sanglantes, qui sert aussi de salle de modelage et de moulage (Fig. 108).

3• Une installation électrique, destinée au diagnostic (radiographie) et au traitement des affections musculaires (Fig. 106)

4• Enfin, deux salles de mécanothérapie, très bien comprises et très complètes (Fig.104 et 105).


Cette Clinique, on le voit, est agencée de façon toute différente des maisons chirurgicales ordinaires ; et ici la prédominance est donnée, non pas aux idées d’asepsie, qui y sont pourtant respectées dans une mesure suffisante, mais aux installations qui permettent d’agir sur l’appareil osseux lors de l’intervention ( instrumentation très spéciale, d’ordre mécanique ) et aux machines destinées à ramener les articulations, les muscles et leurs annexes à leur fonctionnement normal, la partie opératoire de traitement étant terminée. Il est certain que, dans de telles conditions, il ne serait pas logique de comparer la salle d’opérations aseptiques de Reims avec celles d’Angers ou de Marseille par exemple, puisque le but poursuivi n’est plus le même, et puisque l’asepsie du champ opératoire est bien plus facile à obtenir et à maintenir. Mais, par contre, il ne faut pas chercher, non plus, jusqu’à présent du moins, dans nos autres grandes maisons de santé chirurgicales de province, d’installations comparables à celles de la clinique de M. Mencière, à Reims, pour le modelage des os.
Si, à Paris et ailleurs ( Province et étranger : Suisse, etc.), il y a des institutions de ce genre où l’on fait bien, mais de façon tout fait distincte et isolée, le massage, ou l’électrothérapie, ou la mécanothérapie ( ce qui est indiscutable ), par suite d’une spécialisation poussée à l’extrême, il n’y a pas, à proprement parler, d’Institut de Chirurgie orthopédique absolument comparable à celui de Reims – Pas même celui de Furtad-Heine à Paris ! – c’est-à-dire dans lequel le médecin soit à la fois chirurgien opérant et thérapeute patient et avisé, suivant les malades lui-même, jusqu’à complète guérison.
Cela est la conséquence des conditions mêmes dans lesquelles cette clinique a été établie , je veux dire de sa création en province, ou la spécialité ne peut pas être divisée à l’infini, comme dans une grande capitale. C’est, en somme, la mode créée en Allemagne, par suite de l’existence de nombreuses Universités en ce pays, qui tend à s’implanter chez nous. Nous pensons qu’elle est bonne au point de vue de la décentralisation, le seul que nous ayons envisager ici, car elle répond très bien d’une part à l’intérêt scientifique en général et à l’intérêt particulier du médecin, et, d’autre part, et surtout, à l’intérêt des malades : but ultime de nos efforts !
Est-Il rien de plus cocasse, en effet, que de voir ce qui se passe journellement à Paris, à l’heure actuelle ? Un grand maitre exécute brillamment une arthrodèse. Son opéré sort guéri de la maison de santé mais il ne peut pas travailler. Alors, on envoie le client d’un coin de Paris à l’autre, d’abord chez le masseur, puis chez l’électricien, enfin, chez le mécanothérapeute ; et, trop souvent, le résultat est nul. C’est l’histoire connue de l’opéré mort… guéri !
Ce temps-là, en raison des progrès stupéfiants faits ces années dernières en chirurgie orthopédique, à l’étranger surtout, est terminé. Il faut suivre l’exemple, non pas de Lorenz, qui n’opère pas, mais d’Hoffa, qui opère quand il faut, et soigne après. comme il convient, dans une maison de santé spéciale, véritable modèle du genre en Europe ! Et c’est le réel mérite du Dr Mencière (de Reims) d’avoir compris que c’est de la sorte qu’il fallait procéder hors Paris.
Aussi sa clinique brille-t-elle surtout, par des outils puissants, encore non décrits, et par ses appareils mécanothérapiques, merveilleux de précision et d’élégance, qui nous avaient tant frappés Baden-Baden dès 1886, et qui ont été, comme on le pense, beaucoup perfectionnés depuis quinze ans, dans les pays du Nord ; et par l’outillage de sa salle d’opérations non sanglantes, dont les instruments sont pour la plupart nouveaux et très bien conçus, étant donné le but à atteindre. Nous n’avons pas ici l’espace nécessaire pour entrer dans le détail de tout l’agencement de cette installation et décrire minutieusement chaque salle, ce qui s’y pratique; mais nous tenons cependant à insister sur un point très particulier, qui a son intérêt.
Quoique M. Mencière se défende d’être un spécialiste en chirurgie infantile, il a beaucoup d’enfants chez lui. Aussi sa maison a-t-elle dû être pourvue d’un jardin d’agrément pour ces petits déshérités, qui souvent y font un séjour longtemps prolongé, et ont besoin de vivre constamment au grand air.
De plus, les malades, habitant longtemps leurs chambres et y demeurant de longs jours sous la direction du médecin il a fallu rendre leur petit « home » temporaire aussi confortable que possible et un peu plus luxueux qu’une chambre d’ovariotomisée. Étant donné qu’il s’agit de patients où l’acte opératoire est réduit au minimum et souvent même est sous-cutané, cette tendance, qui, au premier abord, paraitra un peu paradoxale à certains chirurgiens, nous a paru excellente et digne d’être encouragée en l’espèce. Il ne faut pas être plus royaliste que le roi, c’est-à-dire radicalement aseptique, car cela n’est pas du tout nécessaire.
Pour finir, nous voudrions signaler une particularité, très digne d’attirer l’attention des opérateurs » viscéraux » qui constituent la majeure partie des lecteurs de cette revue. C’est la nécessité d’avoir désormais attaché à toute clinique de chirurgie en province un service de Radiographie, même quand on est bien résolu à ne faire que des interventions abdominales et vaginales. On ne saurait s’imaginer, en effet, combien cette méthode, si récente et si fertile en résultats, peut fournir de notions utiles en dehors de la chirurgie des membres, où elle est absolument indispensable, car elle permet d’éviter des erreurs formidables, comme nous l’a prouvé M. Mencière ( diagnostic des traumatismes de coude, de la luxation congénitale de la banche,etc.,etc. ). Ce que nous avons vu à Reims nous l’a démontré de façon définitive.
Devons-nous ajouter à cette courte description chirurgicale d’une rapide visite, que cette Clinique nous paraît, comme agencement des services annexes ( confection sur place des bandages, des corsets, etc. ), et comme organisation matérielle, correspondre parfaitement aux conditions exigées par sa situation dans une ville comme Reims, 2 heures de Paris.
Cela nous parait oiseux, car elle a déjà quatre années d’existence ; et si son avenir n’était pas assuré définitivement aujourd’hui, il est certain qu’elle n’aurait pas acquis en si peu de temps une notoriété d’aussi bon aloi et une importance aussi considérable dans toute la région de l’Est.
Avant de la visiter, avouons-le, quoique nous en connaissions l’existence depuis longtemps, nous n’en soupçonnions ni le rapide développement, ni la portée sociale dans cette contrée si riche. Il est évident que, dans le pays, elle joue – et jouera encore davantage dans l’avenir, maintenant qu’elle a été appréciée par les Compagnies d’Assurances ! – un rôle considérable, non seulement au point de vue des pauvres difformes, mais aussi des traumatises de travail, qui sont si nombreux dans l’une des plus belles régions industrielles de France.
(1) Les appareils avaient été apportés à Paris en 1884 : mais ils émigrèrent de suite, croyons nous, à Baden-Baden. Les parisiens, on le sait, n’appécient guère les choses originales et bonnes, quand elles ne sont pas estampillées par la science officielle !
(2) Baudouin (Marcel). L’assistance chirurgicale instantanée : L’Hôpital des Prompts , etc. Paris, 1695, in-8, p. 23.
(3) Les Hôpitaux spéciaux d’enfants commencent déjà à être démembrée ; à notre avis, il ne faudrait pas en créer d’autres, en ce qui concerne du moins le services de chirurgie.
(4 ) Voir ses mémoires parues dans le N° 10 des archives de Chirurgie, 1902 et dans les n° 1 et 5 , 1903.